trois arrêts rendus par la Cour de cassation le 6 février 2008. Et il s'en réjouit.
Dans chacune de ces espèces, la Cour d'appel avait refusé aux parents le bénéfice de l'article 79-1 du Code civil. Ce texte prévoit qu'un
acte d'enfant sans vie peut être dressé par l'officier d'état civil "
lorsqu'un enfant est décédé avant que sa naissance ait été déclarée à l'état civil".
En effet, avaient jugé les cours, cette disposition ne s'applique que si "
l’être
dont on doit ainsi déplorer la perte [a atteint] un stade de
développement suffisant pour pouvoir être reconnu comme un enfant".
Or, ajoutaient les juges d'appel, ce
stade de développement doit être apprécié au regard de la "
viabilité" de l'enfant ; l'on se référera pour ce faire au "
seuil de viabilité" tel que définit par l'OMS.
Réponse de la Première chambre civile de la Cour de cassation :
<blockquote>
[E]n statuant ainsi, alors que l’article 79-1,
alinéa 2, du code civil ne subordonne l’établissement d’un acte
d’enfant sans vie ni au poids du foetus, ni à la durée de la grossesse,
la cour d’appel, qui a ajouté au texte des conditions qu’il ne prévoit
pas, l’a violé.</blockquote>
Que peut-on dire de cette décision ?
Quelques mots
[1] sur l
'acte d'enfant sans vie.
L'article 79-1 du Code civil prévoit que l'enfant mort avant la
déclaration de sa naissance verra tout à la fois sa naissance et sa
mort constatée par
deux actes distincts établis par l'officier d'état civil.
Cette règle est importante, car elle rend publique le fait que
l'enfant a eu une personnalité juridique, aussi fugitive qu'elle ait pu
être. Ainsi l'enfant a-t-il pu succéder et on peut hériter de lui
[2].
Mais encore faut-il que l'enfant soit né "
vivant et viable", ce qui est attesté par un certificat médical produit devant l'autorité compétente.
Lorsque l'enfant n'est pas né vivant, l'officier d'état civil dresse un
acte d'enfant sans vie. Ce n'est pas un acte de décès, qui aurait supposé la vie
et donc l'acquisition de la personnalité juridique
[3]. Mais la mesure de publicité
[4] a quelques conséquences pour les parents qui peuvent disposer du corps de l'enfant et organiser des funérailles, notamment.
Et nous en arrivons à notre décision.
En précisant les conditions d'établissement d'un acte d'enfant sans
vie, les cours d'appel ont restreint la possibilité de dresser l'acte.
Le problème posé par les cours d'appel était le suivant : Selon elles,
il faut distinguer selon que l'enfant est
viable — auquel cas l'acte d'enfant pourra être établi — ou qu'il était
non viable — auquel cas l'acte est sans objet. C'est cette distinction que semble censurer la Cour de cassation;
Mais la portée de sa décision n'est pas si évidente.
Il y a deux interprétations possibles
[5] :
Dans une
interprétation restrictive, la Cour de cassation
se contente de viser la référence aux critères de l'OMS. Il appartient
donc bien aux juges de vérifier que l'enfant est né viable, la
condition de viabilité s'apprécie au cas par cas. En ce cas, il va de
soit qu'il n'est pas d'enfant à compter de la conception.
Dans une
interprétation extensive, à laquelle je me range, la Cour de cassation écarte toutes les conditions posées par les cours d'appel, y compris celle de la
viabilité. L'enfant existe donc
dès sa conceptionau sens de l'article 79 alinéa 2, et il est possible de dresser acte de
sa naissance sans vie pour peu que la femme en ait accouché.
Il faut, je crois, retenir cette analyse.
En effet, l'alinéa 2 de l'article 79 prévoit que :
<blockquote>
A défaut du certificat médical prévu à l'alinéa
précédent, l'officier de l'état civil établit un acte d'enfant sans
vie. Cet acte est inscrit à sa date sur les registres de décès et il
énonce les jour, heure et lieu de l'accouchement, les prénoms et noms,
dates et lieux de naissance, professions et domiciles des père et mère
et, s'il y a lieu, ceux du déclarant. L'acte dressé ne préjuge pas de
savoir si l'enfant a vécu ou non ; tout intéressé pourra saisir le
tribunal de grande instance à l'effet de statuer sur la question.</blockquote>
L'acte d'enfant sans vie est donc établit "
à défaut du certificat médical prévu" à l'alinéa 1.
Or, l'alinéa 1 vise un "
la production d'un certificat médical indiquant que l'enfant est né vivant et viable et précisant les jours et heures de sa naissance et de son décès".
Autrement dit, en écartant l'exigence du certificat médical, l'alinéa 2 emporte également la condition de vie et de viabilité.
Tout enfant né mort ou non viable, donc, est un enfant susceptible
de faire l'objet d'un acte d'enfant sans vie au sens de l'article 79
alinéa 2.
Et qui prête à la conception - et non pas à la naissance - un
caractère fondateur de se réjouir. Reconnaître l'existence d'un enfant,
n'est-ce pas faire un pas vers la personnalité du foetus ?
Non pas : la vie et la viabilité demeurent en droit les conditions d'acquisition de la personnalité.
Et reconnaître que le foetus est un "
enfant" ne signifie
pas qu'il soit une personne. Non plus qu'admettre que la vie humaine
commence dès la conception suppose d'admettre la personnalité de
l'enfant conçu.
Ajoutons, et cela pourrait disconvenir aux partisans de cette jurisprudence
[6]que l'IVG est un accouchement provoqué volontairement. A suivre la Cour
donc, l'article 79-1 al. 2 s'applique tout autant à l'enfant avorté
volontairement qu'à celui qui fut né de ce que l'on appelle une
fausse-couche.
Vous me direz que la mère ne se précipitera peut-être pas pour faire reconnaître que le foetus était un enfant.
Peut-être, mais l'article ne précise pas que la mère doit être la
déclarante. Il s'en suit que le père ou les autorités médicales peuvent
effectuer la déclaration. Peut-être même, en raison de l'usage de l'indicatif,
doivent-ils le faire. Ce qui pourrait heurter les dispositions
protectrices du secret de l'IVG. Et en particulier l'article L. 2212-4
du code de la santé publique qui prévoit que la mineure non émancipée
peut requérir le secret à l'égard des titulaires de l'autorité
parentale — le plus souvent, ses parents.
Il y a donc une possibilité de conflit entre la procédure de publicité de l
'acte d'enfant sans vie qui suppose la révélation de la parenté et les dispositions protectrices du secret en matière d'avortement.
La Cour de cassation n'a pas publié le rapport du Conseiller sur
cette décision. Et c'est regrettable, car il est difficile d'imaginer
que la question ait été ignorée. On peut donc imaginer que les présents
arrêts sont une invitation discrète — plus ou moins discrète — au
législateur de préciser les conditions d'établissement de l'acte.
Notes[1] Ils ne seront pas inutiles, compte tenu du titre erroné choisi par Libération sur cet article,
au demeurant acceptable. La peste soit des rédacteurs en chef qui
veulent faire chatoyer l'information et ne réussissent qu'à la
brouiller. L'art du cancre en quelque sorte.
[2]
Faisons l'hypothèse d'un enfant qui a reçu une donation de la part de
son père naturel lui-même décédé pendant la grossesse. Si l'enfant a eu
la personnalité juridique, ne serait-ce que quelques heures, il a pu
recevoir la donation. Étant lui-même décédé, il transmet à ses
héritiers en ligne directe : sa mère, pas exemple, qui n'aurait pas pu
hériter de son compagnon.
[3] Et la capacité successorale.
[4] Un acte d'état civil est essentiellement une mesure de publicité.
[5] Il est fortement déconseillé de se livrer à une interprétation
extensived'un arrêt de cassation, car il s'agit toujours de décisions d'espèces
et la Cour sait conférer une certaine généralité à ses propos
lorsqu'elle le souhaite. Mais spéculer est tout de même plaisant. On ne
s'en prive donc pas.
[6] Qui mérite l'approbation.