Nicolas
Sarkozy pourrait-il être Français si on lui appliquait ses lois ?
Le député européen (enfin, européen, je me comprends) Jean-Luc Mélenchon a
affirmé dans Le Parisien - Dimanche (et donc dans Aujourd’hui en France -
Dimanche) que ” si on lui appliquait ses lois, Nicolas Sarkozy ne pourrait pas
être français”. Admettons-le, ce serait symbolique des dérives de notre droit de
la nationalité et du statut des étrangers en France. Mais le fait que ce soit M.
Mélenchon qui l’affirme doit pousser à la circonspection. Les textes juridiques,
c’est pas son truc, comme il l’a démontré en 2005.
Et en effet, c’est faux, vous allez le voir.
Le raisonnement repose sur le père de Nicolas Sarkozy, Nagybócsai Sárközy
Pál, né à Budapest le 5 mai 1928, et de nationalité hongroise. Si à son arrivée
en France, l’actuel Code
de l’Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d’Asile (CESEDA) était en
vigueur, aurait-il pu rester, avoir trois fils, et leur transmettre la
nationalité française ? La réponse à la première question est oui ; la seconde
ne regarde que la nature et non le droit, et la réponse à la troisième question
est non mais cela n’a pas d’importance.
L’arrivée du pèreNagybócsai Sárközy Pál a fui son pays avec sa famille en 1944 devant
l’avancée des troupes soviétiques (la Hongrie avait rejont l’Axe pendant la
Guerre). À son retour en 1945, elle a découvert que ses biens (la famille
Nagybócsai Sárközy était d’une petite aristocratie terrienne) avaient été
saisis, et a craint que le jeune Pàl ne soit enrôlé de force dans l’Armée
Populaire, voire déporté en Sibérie en raison de ses origines. Sa mère a
prétendu que son fils était mort noyé, et lui a dit de partir en France, terre
d’asile. Pàl traversa l’Autriche et arriva à Baden Baden, où il s’engagea pour 5
ans dans la légion étrangère mais fut démobilisé en 1948, année où il s’installa
définitivement en France (d’abord à Marseille, puis Paris).
Ceci posé, qu’est-ce que cela donnerait aujourd’hui ?
Eh bien Nagybócsai Sárközy Pál aurait l’embarras du choix pour le fondement
de son séjour en France.
Tout d’abord, il pourrait demander à bénéficier du statut de réfugié : il
fait état de craintes (risque de déportation) liées à son appartenance à un
groupe social (l’ancienne aristocratie terrienne) : art.
L. 711-1 du CESEDA, Convention
de Genève du 28 juillet 1951. l’Office Français de Protection des Réfugiés
et Apatrides lui reconnaitrait ce statut sans trop de difficulté à mon avis.
Même s’il ne souhaitait pas passer par là, ayant compté trois années de
service actif dans la Légion Étrangère (1945-1948), il pourrait bénéficier d’une
carte de résident de plein droit : art.
L.314-11 du même Code.
En tout état de cause, les anciens pays du bloc de l’Est déchoyaient les
émigrés ayant fui le paradis socialiste de leur nationalité, et Pàl ne fut pas
une exception. Son statut d’apatride (une fois reconnu par l’OFPRA) lui
donnerait un droit au séjour, et rendrait impossible toute expulsion (art.
L.721-2 du CESEDA, convention
de New York du 28 septembre 1954.
À terme, il aurait vocation à obtenir la nationalité française par
naturalisation, ce qu’a fait le vrai Pàl au début des années 1970, c’est à cette
occasion qu’il a officiellement francisé son nom en Paul Sarközy de Nagy-Bocsa,
nom sous lequel il avait été inscrit à la Légion,
En somme, pas de changement entre ce qui s’est passé il y a 60 ans et
aujourd’hui.
La nationalité du filsLe fait que le président de la République ait un père hongrois n’ayant acquis
la nationalité française que postérieurement à la naissance de son fils fait que
certaines personnes, que je présume bien intentionnées se demandent si cela
n’aurait pas des incidences sur sa nationalité française.
La réponse est : aucune.
Car à se focaliser sur son père, on oublie celle qui a joué un rôle bien plus
important dans la vie de son fils : sa mère.
Nicolas Sarkozy est le fils d’Andrée Jeanne Mallah, elle même née à Paris le
12 octobre d’une année que ma galanterie m’interdit de me souvenir. Elle même
est la fille de Benoît Mallah, médecin réputé tenant sa pratique dans le 17e
arrondissement de Paris, né en 1890 à Thessalonique en Grèce (mais qui à
l’époque était en Turquie ottomane…), et d’Adèle Bouvier, fille d’une famille de
la bourgeoisie lyonnaise, d’origine savoyarde, étant de ce fait devenue
française lors du rattachement de cette province à la France en 1860 (Traité de
Turin).
Nicolas Sarkozy est donc Français de naissance, étant fils d’une mère
française : art.
18 du Code civil.
La question de la preuve de la nationalité française de sa mère ne se pose
même pas, puisqu’il est né en France (à Paris 17e) d’une mère elle même née en
France (à Paris, 17e aussi je crois) : art.
19-3 du Code civil. Il lui suffit de produire une copie de son acte de
naissance et de celui de sa mère pour établir sa nationalité de manière
irréfutable.
Ainsi, même en appliquant les lois en vigueur en janvier 2010 à des
événements survenus en 1955, tant le séjour du père du président que la
nationalité de celui-ci ne seraient nullement remis en cause.
Ceux qui souhaitent critiquer les absurdités des lois actuelles en matière
d’étrangers, qui poussent
un ministre à nier contre toute évidence l’état réel de ce droit plutôt que de devoir le justifier, ou de nationalité, qui a obligé l’éditeur et
chroniqueur Éric Naulleau, né à Baden Baden en Allemagne, incapable de prouver
sa nationalité de naissance, à
invoquer quatre années de mariage avec une Bulgare naturalisée Française par
décret pour récupérer sa nationalité française, ont assez de grain à moudre
pour avoir besoin d’en inventer.