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| موضوع: COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME: la compatibilité avec le droit à la liberté d’expression de la condamnation d’un journaliste الخميس يناير 28, 2010 12:43 pm | |
| Droit européen Actualités COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L’HOMME - Droit à la liberté d’expression(article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales) Dans l’affaire X… et Y… c/ France, requête no 12662/06, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu, le 8 octobre 2009, un arrêt constatant la violation de l’article 10 de la Convention de sauvegarde et des libertés fondamentales (droit à la liberté d’expression). La Cour était appelée à se prononcer sur la compatibilité avec le droit à la liberté d’expression de la condamnation d’un journaliste et du directeur de publication du magazine qui avait diffusé l’article litigieux concernant un homme politique. Les requérants sont Philippe X..., directeur de publication du magazine Objectifs Rhône Alpes, et Loïc Y..., journaliste dans ce magazine. En novembre 2000, un article intitulé « Caisse d'épargne de Saint-Etienne, un député dans le collimateur de la justice » fut publié dans ce magazine. L'article reprenait les conclusions d'un rapport de la commission bancaire de la Banque de France, ainsi que celles résultant d'un rapport interne de la Caisse d'épargne. Il laissait entendre que Z..., député, premier adjoint au maire de Saint-Etienne et président du conseil de surveillance de la Caisse d'épargne locale, avait pu commettre des infractions pénales et user de ses fonctions à des fins personnelles.
Z... déposa une plainte avec constitution de partie civile pour diffamation à l'encontre des deux requérants. Le 2 novembre 2001, ces derniers furent renvoyés devant le tribunal correctionnel de Saint-Etienne. Ils contestèrent les motifs de leur poursuite, relevant qu'ils étaient poursuivis sur le fondement de l'article 32, alinéa premier, de la loi de 1881 (diffamation envers un particulier) alors que, selon eux, ils auraient dû être poursuivis pour diffamation envers une personnalité publique ayant un mandat électif. En vain. Par ailleurs, ils offrirent d'apporter la preuve de ce qu'ils avançaient. Cette proposition fut rejetée par le tribunal correctionnel, qui estima que "leur offre de preuve ne comportait pas une articulation et une qualification suffisamment précise des faits desquels ils entendaient prouver la vérité, contrairement aux prescriptions de l'article 55 de la loi de 1881" (§ 14). Le 21 mai 2002, les requérants furent condamnés pour diffamation envers un particulier. Le 2 octobre 2002, la cour d'appel de Lyon réforma ce jugement. Le 30 septembre 2003, la chambre criminelle de la Cour de cassation cassa l'arrêt, mais seulement en ses dispositions civiles, et renvoya l'affaire devant la cour d'appel de Dijon. Devant cette instance, les requérants sollicitèrent un sursis à statuer en attendant l'issue de l'information judiciaire en cours à propos des faits dénoncés par la commission bancaire. Sur le fond, ils invoquèrent leur bonne foi. Ils avancèrent notamment n'avoir manifesté aucune animosité personnelle envers Z..., avoir vérifié leurs sources et fait preuve de prudence dans l'expression. Le 5 août 2004, la Cour d'appel rejeta leurs demandes et prétentions et les condamna à verser à Z... 19 000 euros pour diffamation envers un particulier.
Le 13 septembre 2005, la chambre criminelle de la Cour de cassation rejeta leur pourvoi et les condamna à verser à Z... 2 000 euros supplémentaires au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
Griefs :
Les requérants soutenaient que leur condamnation pour diffamation était contraire au droit à la liberté d'expression, prévu par l'article 10 de la Convention.
Décision :
La Cour européenne précise que la qualification de l'infraction appartient aux juridictions internes et estime que "les arguments des requérants contestant la qualification donnée par les juridictions internes au contenu de l'article litigieux, portant notamment sur la circonstance que celui-ci visait principalement un homme politique et non un simple particulier, relèvent davantage de l'examen de la proportionnalité de la mesure" (§ 48). Elle constate que l'infraction était prévue par la loi de 1881 sur la liberté de la presse et en déduit que l'ingérence était donc « prévue par la loi ». Par ailleurs, elle reconnaît que l'ingérence visant à protéger la réputation ou les droits d'autrui poursuivait bien un « but légitime ».
La juridiction strasbourgeoise recherche enfin à établir si l'ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ». Elle constate en premier lieu que l'article litigieux tendait à informer la population locale sur les agissements d'un élu, Z..., visé en cette qualité. Elle rappelle que "les limites de la critique admissible sont plus larges à l'égard d'un homme politique, visé en cette qualité, que d'un simple particulier : à la différence du second, le premier s'expose inévitablement et consciemment à un contrôle attentif de ses faits et gestes, tant par les journalistes que par la masse des citoyens ; il doit, par conséquent, montrer une plus grande tolérance" (§ 53).
Les juges de Strasbourg reconnaissent "qu'en raison des « devoirs et responsabilités » inhérents à l'exercice de la liberté d'expression, la garantie que l'article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur des questions d'intérêt général est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit, dans le respect de la déontologie journalistique". Néanmoins, ils s'accordent également pour préciser que "la liberté journalistique comprend aussi le recours possible à une certaine dose d'exagération, voire même de provocation" (§ 56). En l'espèce, ils ne partagent pas l'analyse des juridictions françaises qui, pour rejeter la bonne foi des requérants "se sont essentiellement fondés sur le « ton » de l'article (...) ainsi que sur les termes employés dans les titres intermédiaires, qui manquaient de prudence" (§ 57). La Cour constate en effet que les requérants ont proposé d'apporter la preuve de ce qu'ils avançaient, et que cette offre a été refusée par les juridictions. D'autre part, elle précise que ceux-ci n'ont porté aucun jugement de valeur et se sont contentés pour l'essentiel de déclarations de fait. Par ailleurs, elle estime qu'ils "ont fait preuve d'une certaine prudence dans l'expression en publiant des extraits du rapport accompagnés de commentaires objectifs et en recueillant les observations de Z... quant aux accusations dirigées contre lui", et, en outre, ne relève aucune animosité personnelle à l'encontre de Z... (§ 61). Enfin, l'article litigieux s'appuyait sur une base factuelle suffisante, à savoir deux rapports certes confidentiels mais concordants, et dont l'un émanait d'une autorité officielle.
S'agissant de la condamnation prononcée à l'encontre des requérants, les juges européens constatent que bien qu'exclusivement civile, celle-ci était importante, eu égard notamment au fait que le magazine était un média d'envergure locale. Cette mesure était donc disproportionnée.
La Cour conclut, à l'unanimité, à la violation de l'article 10 de la Convention. Au titre de la satisfaction équitable (article 41 de la Convention), elle accorde aux requérants le versement de 21 000 euros au titre du dommage matériel, correspondant au montant de la condamnation que les juridictions internes avaient prononcée à leur encontre.
- Droit à la liberté et à la sûreté (article 5 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales)
La Cour européenne condamne la France, sur le fondement de l'article 5 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, par deux arrêts rendus le 8 octobre 2009 : CEDH, X... c/ France, requête n° 35469/06, et CEDH, Y... c/ France, requête n° 35471/06.
Dans ces deux affaires, la Cour européenne devait se prononcer sur la compatibilité avec l'article 5 § 3 de la Convention (droit à la liberté et à la sûreté), de détentions provisoires d'une durée de six ans.
Dans ces deux affaires, les requérants invoquaient une violation de l'article 5 § 3 de la Convention, en raison de la durée excessive de leur détention provisoire. Les faits d'espèce et la motivation de la juridiction européenne étant identiques dans ces deux affaires, les références aux considérants de la Cour repris dans le résumé concernent le seul arrêt X...
La Cour rappelle que "selon sa jurisprudence constante, il incombe en premier lieu aux autorités judiciaires nationales de veiller à ce que, dans un cas donné, la durée de la détention provisoire d'un accusé ne dépasse pas la limite du raisonnable" (§ 39). Elle recherche essentiellement dans la motivation des décisions s'il y a ou non violation des dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention.
En l'espèce, "La Cour considère qu'une durée de détention provisoire de six ans doit être accompagnée de justifications particulièrement fortes. Elle n'ignore pas le contexte de la présente affaire, qui concerne la lutte contre la criminalité organisée et le grand banditisme à dimension internationale. Eu égard à ses particularités, elle estime que, même si leur intensité a pu varier au fil du temps, les différents motifs qui ont fondé le refus d'élargissement du requérant - dont en particulier le risque de fuite caractérisé et celui de la réitération des faits - sont restés pertinents tout au long de la procédure. Elle ne discerne aucune raison de s'écarter de l'opinion des juridictions internes pour justifier le maintien en détention du requérant. En résumé, les raisons exposées par les juridictions nationales pour refuser d'élargir le requérant constituaient en l'occurrence des motifs pertinents et suffisants" (§ 41).
Cependant, la Cour recherche "si les autorités judiciaires ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure" (§ 42). Or, elle constate que "près d'un an et huit mois se sont écoulés entre le 1er avril 2005, date de l'arrêt définitif de la chambre de l'instruction confirmant l'ordonnance de mise en accusation et de renvoi du 10 décembre 2004, et l'audiencement de l'affaire, le 17 novembre 2006, devant la cour d'assises de Paris" (§ 45). Contrairement au gouvernement, les juges européens estiment "qu'un délai aussi long ne saurait trouver sa seule justification dans la préparation du procès, fût-il, comme en l'espèce, d'une certaine ampleur (voir X... c/ Belgique, requête n° 11287/03, § 107, 8 novembre 2007 ; voir également, a contrario, X... c/Allemagne, requête n° 65655/01, précité, § 44), ni davantage dans le dessaisissement de la cour d'assises du Val-de-Marne pour des mesures de sécurité". En outre, la Cour "rappelle à cet égard qu'au moment où la Cour de cassation statua sur cette question, le 29 novembre 2005, le requérant était déjà détenu depuis presque cinq ans". De plus, "la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, dans son arrêt du 17 mars 2006, exposa que la longueur de la détention provisoire du requérant tenait notamment à l'encombrement des sessions d'assises devant la cour d'assises de Paris. Or, (...) il incombe aux Etats d'agencer leur système judiciaire de manière à permettre à leurs tribunaux de répondre aux exigences de l'article 5 (voir X... c/ France, requête n° 66224/01, § 34, 13 septembre 2005) (§ 46).
Elle conclut, dans ces deux affaires, à l'unanimité, à la violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
- Droit à la liberté et à la sûreté (article 5 § 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales)
Dans l'affaire X... c/ France, requête n° 17020/05, la Cour européenne, dans un arrêt rendu le 29 octobre 2009, retient, à l'unanimité, la violation de l'article 5 § 3 en raison de la durée de la détention provisoire (droit à la liberté et à la sûreté). Elle conclut en revanche, à l'unanimité, à la non-violation de l'article 3 de la Convention (interdiction des traitements inhumains ou dégradants).
Dans cette affaire, la Cour européenne devait se prononcer sur la compatibilité avec l'article 5 § 3 de la Convention (droit à la liberté et à la sûreté) d'une détention provisoire d'une durée de plus de quatre ans, ainsi que sur la compatibilité avec l'article 3 de la Convention (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) du port de menottes imposé au détenu durant son transport de la maison d'arrêt à l'hôpital.
Faits :
Le requérant est actuellement détenu à la maison d'arrêt de Metz. En février 2002, il fut placé en détention provisoire et mis en examen pour viol commis en récidive légale sous la menace d'une arme. Il fut maintenu en détention jusqu'à sa condamnation par la cour d'assises, le 1er juin 2006. Durant ces quatre années de détention provisoire, il sollicita à plusieurs reprises sa remise en liberté. Celle-ci lui fut toujours refusée, les juridictions saisies estimant notamment que les risques de récidive étaient trop importants.
Griefs :
Devant la Cour européenne, le requérant invoquait plusieurs articles de la Convention. Sur le fondement de l'article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), il se plaignait des conditions dans lesquelles il avait, à trois reprises, été transféré de la prison à l'hôpital (avec des menottes et des entraves aux pieds, et non en fauteuil roulant comme il aurait dû l'être, selon lui). Sur le fondement de l'article 5 § 3 (droit à la liberté et à la sûreté), il soutenait que la durée de sa détention provisoire avait été excessive.
Décision :
- Concernant l'article 5 § 3 de la Convention :
La Cour précise dans un premier temps que, pour déterminer la durée de la détention provisoire, il convient de prendre en compte, comme point de départ, le jour de l'arrestation et, comme terme à la détention, le jour de la condamnation. "En l'espèce, le requérant a été condamné le 1er juin 2006 par la cour d'assises ; à compter de ce moment, il était détenu « après condamnation par un tribunal compétent », et non en vue d'être conduit devant l'autorité judiciaire compétente" (§ 61). La détention a donc duré, selon la Cour, quatre années, trois mois et dix-huit jours.
Les juges européens recherchent dans les motivations des décisions nationales si le maintien en détention était justifié. Ils précisent que si "la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrêtée d'avoir commis une infraction (...) est une condition sine qua non de la régularité du maintien en détention, (...) au bout d'un certain temps, elle ne suffit plus", et il convient alors d'établir "si les autres motifs adoptés par les autorités judiciaires continuent à légitimer la privation de liberté". Lorsque les motifs sont « pertinents » et « suffisants », [la Cour] cherche (...) si les autorités nationales ont apporté une « diligence particulière » à la poursuite de la procédure" (§ 66).
En l'espèce, la Cour note que la durée de la détention a été très longue et qu'elle a même été prolongée au delà de ce que prévoyait l'article 145-2 du code de procédure pénale. Elle examine alors les motifs des décisions de maintien en détention et constate que ceux-ci s'appuyaient notamment sur les risques de pression du requérant à l'égard de la victime ou des témoins, et "sur l'insuffisance d'un contrôle judiciaire compte tenu, en particulier, du risque de réitération des faits". Or, elle considère que ces motifs étaient « pertinents » et « suffisants » pour justifier le maintien en détention du requérant. Concernant le risque de récidive que présentait le requérant, la Cour précise que "L'état de récidive légale dans lequel le requérant se trouvait, sa précédente condamnation en 1994 à treize ans d'emprisonnement pour des faits similaires, les conclusions du rapport d'expertise, les éléments de l'information qui révélaient en outre sa violence ont pu, de l'avis de la Cour, suffire à caractériser une dangerosité de l'intéressé rendant le danger plausible et la mesure adéquate" (§ 71).
La Cour vérifie ensuite si les autorités judiciaires ont fait preuve de diligence dans la poursuite de la procédure. Elle constate à cet égard des retards pour le dépôt du rapport de l'expert psychiatre ainsi que des périodes d'inactivités imputables aux autorités judiciaires, telle que la période entre l'ordonnance de renvoi de la chambre de l'instruction et la date de l'audiencement de l'affaire devant la cour d'assises. "Ainsi, et même si le requérant a fait preuve d'un comportement par certains moments obstructif, multipliant les voies de recours, les autorités judiciaires n'ont pas agi avec toute la promptitude nécessaire, puisque, sur la période totale de détention provisoire subie par le requérant (quatre années, trois mois et dix huit jours), une période de latence de vingt quatre mois leur est imputable. Or, la Cour a déjà jugé que, même en présence de « motifs pertinents et suffisants » continuant à légitimer la privation de liberté, l'absence de « diligence particulière » apportée par les autorités nationales à la poursuite de la procédure peut entraîner une violation de l'article 5 § 3 de la Convention (voir X... c/ France, requête n° 21148/02, § 49, 10 juillet 2008)" (§ 74).
Elle conclut, à l'unanimité, à la violation de l'article 5 § 3 de la Convention.
- Concernant l'article 3 de la Convention :
Le requérant soutenait que le port de menottes, qui lui avait été imposé lors de ses transports de la maison d'arrêt vers l'hôpital, constituait un traitement inhumain ou dégradant.
La Cour rappelle que, "pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité" (§ 86). Elle précise que, de façon générale, le port des menottes durant une détention régulière ne pose pas de problème au regard de l'article 3 de la Convention, et qu'il peut être justifié par la dangerosité du prévenu ou le risque de fuite. Cependant, elle explique "qu'elle attache une importance particulière aux circonstances de chaque espèce et l'examine au cas par cas, afin d'apprécier la nécessité d'entraver les condamnés en dehors du milieu pénitentiaire, notamment dans les hôpitaux" (§ 89). A cet égard, la Cour expose que, pour l'appréciation des éléments de preuve relatifs aux allégations de mauvais traitements, elle tient compte de la situation de "la vulnérabilité particulière des personnes se trouvant sous le contrôle exclusif des agents de l'Etat, telles les personnes détenues, [et] réitère que la procédure prévue par la Convention ne se prête pas toujours à une application rigoureuse du principe affirmanti incumbit probatio (la preuve incombe à celui qui affirme), car il est inévitable que le gouvernement défendeur soit parfois seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou de réfuter pareilles affirmations" (§ 92).
En l'espèce, les juges européens relèvent que "le requérant ne semble se plaindre que de l'usage des entraves lors des séquences de transport de la maison d'arrêt vers l'hôpital et non pendant les consultations médicales, lesquelles demeurent les plus préoccupantes au regard de l'article 3 de la Convention (...). Si la Cour n'exclut pas que le port d'entraves lors d'un transfert d'un détenu vers un hôpital puisse poser problème sous l'angle de cette disposition dans des circonstances particulières liées notamment à l'état de santé d'un détenu (...), elle estime que tel n'est pas le cas en l'espèce" (§ 94). En effet, le requérant ne soutient pas avoir été physiquement affecté par le port des menottes, son état de santé ne contre-indiquait pas le recours à ce procédé. Aussi, "la mesure d'entrave, limitée à trois opérations de transfert à l'hôpital, était proportionnée au regard des nécessités de la sécurité (...) son usage, en l'espèce, était un procédé lié à la détention et à la personnalité de l'intéressé et (...) cette mesure n'a pas atteint le minimum de gravité requis pour tomber sous le coup de l'article 3 de la Convention".
A l'unanimité, la Cour conclut à la non-violation de l'article 3 de la Convention.
La Cour alloue au requérant, au titre de l'article 41 de la Convention (satisfaction équitable), 4 000 euros pour dommage moral.
- Droit à un procès équitable (article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales)
Dans l'arrêt X... c/ France, requête n° 49037/06, rendu le 29 octobre 2009, la Cour européenne conclut, à l'unanimité, à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention, en raison de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d'Etat, et à la non-violation de cet article concernant l'iniquité alléguée de la procédure devant le conseil médical de l'aéronautique civile.
Dans cette affaire, la Cour européenne était interrogée sur la conformité de la procédure devant le conseil médical de l'aéronautique civile à l'article 6 § 1 de la Convention (droit à un procès équitable). Elle devait également se prononcer à nouveau sur la conformité à ce même article, sous l'angle de l'égalité des armes, de la présence du commissaire du gouvernement au délibéré devant le Conseil d'Etat.
Faits :
La requérante exerçait la profession d'hôtesse de l'air depuis 1982. Après avoir subi cinq accidents de travail dus à des turbulences en vol entre 1997 et 2001, elle se vit attribuer une rente d'invalidité en juin 2002 (pour un taux d'incapacité de travail de 8 %). Elle fut reconnue en tant que travailleur handicapé en avril 2003. Le 30 avril 2003, le conseil médical de l'aéronautique civile, par une décision non motivée, la déclara inapte aux fonctions d'hôtesse de l'air. Le 12 mai 2004, le même organisme, dans une seconde décision, la déclara définitivement inapte à ces fonctions, puis, en octobre de la même année, il déclara que cette inaptitude définitive n'était pas imputable au service aérien, ce qui priva ainsi la requérante de son droit de percevoir des indemnités à ce titre.
Cette dernière introduisit un recours gracieux ; en vain. Elle saisit alors le Conseil d'Etat, arguant de l'insuffisance de motivation de la décision contestée. Le 15 mai 2006, la haute juridiction administrative rejetait le recours, jugeant notamment que la décision litigieuse était suffisamment motivée, au regard notamment de l'exigence, posée par la loi, de protection du secret médical.
Le conseil médical de l'aéronautique civile est un organisme collégial régi par le code de l'aviation civile. Il dépend du ministère des transports et est composé de médecins, nommés par le ministre. Il étudie et coordonne les questions d'ordre physiologique, médical, médico-social et d'hygiène intéressant l'aéronautique civile, notamment en ce qui concerne le personnel navigant, les passagers et, d'une façon générale, le contrôle sanitaire. Il se prononce entre autres sur le caractère définitif des inaptitudes médicales des navigants professionnels et prend des décisions en matière d'imputabilité d'un accident au service.
Griefs :
La requérante invoquait essentiellement l'article 6 § 1 de la Convention (droit à un procès équitable) sous deux angles. S'agissant de la procédure devant le conseil médical de l'aéronautique, elle se plaignait de son caractère inéquitable : la motivation de la décision litigieuse était insuffisante et elle n'avait pu accéder au dossier ayant fondé la décision d'octobre 2004. S'agissant de la procédure devant le Conseil d'Etat, la requérante estimait que la présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d'Etat était contraire à la Convention.
Décision :
- Sur l'applicabilité de l'article 6 § 1 de la Convention à des indemnités pour maladie ou invalidité :
Le gouvernement soulève une exception ratione materiae. Il soutient, d'une part, que l'indemnité dont se prévalait la requérante ne constitue pas un droit à caractère civil, puisqu'elle n'est allouée que si l'accident ou la maladie est reconnu imputable au service. Il explique enfin que le conseil médical de l'aéronautique civil ne peut être qualifié de « tribunal » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention et que cet article ne saurait donc être applicable à la situation d'espèce.
La Cour constate que l'indemnité invoquée par la requérante est prévue par le code de l'aviation civile et considère que "la requérante pouvait, de manière défendable, prétendre avoir droit, en vertu de la législation française, à une indemnité, à la suite de la décision du conseil médical de l'aéronautique civile l'ayant déclarée inapte définitivement à ses fonctions d'hôtesse de l'air. Le droit réclamé étant de nature civile, et l'issue du litige directement déterminante pour le droit de l'intéressée à se voir indemniser en raison de son inaptitude à travailler, la Cour est d'avis que l'article 6 § 1 s'applique en l'espèce" (§ 30). Elle rejette cette exception et déclare la requête recevable.
- Sur l'équité de la procédure devant le conseil médical de l'aéronautique civile :
La Cour précise qu'il n'est "pas indispensable de rechercher si le conseil médical de l'aéronautique civile répondait aux exigences de l'article 6 § 1. En revanche, elle doit s'assurer que, devant le Conseil d'Etat, la requérante jouissait d'un droit à un tribunal et à une solution juridictionnelle du litige, tant pour les points de fait que pour les questions de droit" (§ 36). La haute juridiction administrative statuait en l'espèce dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir. Elle ne jouissait donc pas de la « plénitude de juridiction ». Cependant, la Cour constate que le Conseil d'Etat a néanmoins "pu examiner tous les moyens soulevés par la requérante, en fait comme en droit, et apprécier toutes les pièces de son dossier médical, au vu des conclusions de l'ensemble des rapports médicaux discutées" devant lui (§ 37). Dans ces conditions, la juridiction strasbourgeoise conclut "que la cause de la requérante a donc été examinée dans le respect des exigences posées à l'article 6 § 1" et qu'il n'y a pas eu violation de cet article.
Sur la présence du commissaire du gouvernement au délibéré du Conseil d'Etat :
Rappelant sa jurisprudence (arrêt de grande chambre, CEDH, X... c/ France, 12 avril 2006, requête n° 58675/00) selon laquelle la présence du commissaire du gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d'Etat, telle qu'elle prévalait à l'époque des faits litigieux, n'était pas compatible avec les exigences d'un procès équitable, la Cour conclut, à l'unanimité, à la violation de l'article 6 § 1 de la Convention.
- Interdiction des discriminations (article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales) et protection de la propriété (article premier du Protocole additionnel n° 1 à la Convention)
Dans l'arrêt X... c/ France, requête n° 29137/06, rendu le 29 octobre 2009, la Cour européenne conclut, à l'unanimité, à la non-violation de l'article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (prohibition des discriminations) et de l'article premier du Protocole additionnel n° 1 à la Convention (protection de la propriété).
L'affaire porte sur le refus opposé au requérant, résidant actuellement en Algérie, de pouvoir bénéficier des droits à une retraite complémentaire pour laquelle il avait cotisé lorsqu'il était salarié en Algérie, alors territoire français, entre 1953 et 1962.
Faits :
A la suite de l'accession de l'Algérie à l'indépendance, le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire ont signé, le 16 décembre 1964, un « accord relatif aux régimes complémentaires de retraites » (publié par décret du 21 janvier 1965), dont l'objet est de régler les rapports entre les deux pays en cette matière.
Les juridictions du fond, saisies après plusieurs refus opposés au requérant par l'ARCCO, rejetèrent sa demande. Son pourvoi en cassation ne put aboutir, le bureau d'aide juridictionnelle ayant écarté sa demande en estimant qu'aucun moyen de cassation sérieux ne pouvait être relevé, décision confirmée par ordonnance du premier président en date du 1er juin 2006.
Griefs :
Sa demande ayant été rejetée au motif qu'il ne réside pas en France, le requérant invoque, devant la Cour européenne, une discrimination fondée sur un critère de « nationalité déguisée » et portant atteinte à son droit au respect de ses biens. Il estime ainsi que les ressortissants français résidant en Algérie auraient, pour leur part, le choix de faire liquider leur pension de retraite en France, du fait des règles posées, selon lui, par le droit communautaire, notamment la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes relative au bénéfice par des travailleurs migrants de pensions de retraite ou d'allocations sociales. Le travailleur algérien travaillant en Algérie serait en revanche toujours pénalisé.
Le gouvernement français, en revanche, soutient qu'il n'y aurait pas discrimination, dès lors qu'un ressortissant algérien résidant en France peut demander la liquidation de sa retraite auprès d'une caisse française, tandis qu'un Français résidant en Algérie ne peut le faire qu'auprès d'une institution algérienne.
Décision :
- Sur la recevabilité de la requête :
La Cour écarte l'exception soulevée par le gouvernement français tirée de l'absence d'épuisement des voies de recours internes, rappelant que "cette disposition [l'article 35 § 1 de la Convention] doit s'appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif" (§ 21), et relevant qu'en l'espèce, "s'il n'a pas explicitement invoqué l'interdiction de discrimination consacrée par la Convention, le requérant a entendu dénoncer, devant les juges d'appel, une discrimination résultant du rejet de sa demande de liquidation de retraite complémentaire au motif qu'il ne réside pas en France ou à Monaco" (§ 22).
- Sur l'applicabilité de l'article 14 de la Convention combiné à l'article premier du Protocole additionnel n°1 :
Les juges de Strasbourg, se référant à la décision de Grande chambre, X... et autres c/ Royaume-Uni, du 6 juillet 2005, requête n° 65731/01, rappellent que "les principes qui s'appliquent généralement aux affaires concernant l'article premier du Protocole n° 1 gardent toute leur pertinence dans le domaine des prestations sociales" (§ 26). Si le droit à pension n'est pas comme tel garanti par la Convention, les législations nationales créant un régime de prestations ou de pensions doivent être considérées comme engendrant un intérêt patrimonial relevant du champ d'application de l'article premier du Protocole additionnel n° ,1 pour les personnes remplissant les conditions. La Cour, soulignant qu'un tel régime, une fois créé, doit l'être d'une manière compatible avec l'article 14 de la Convention, juge que "la situation du requérant entre dans le champ d'application de l'article premier du Protocole n° 1 et du droit au respect des biens qu'il garantit et que, partant, l'article 14 de la Convention trouve à s'appliquer en l'espèce".
- Sur le fond :
Selon la jurisprudence constante de la Cour européenne, "une différence de traitement constitue une discrimination, au sens de l'article 14, si elle vise, sans justification objective et raisonnable, des personnes placées dans des situations comparables. Le manque de justification objective et raisonnable signifie que la distinction litigieuse ne poursuit pas un but légitime ou qu'il n'y a pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé" (§ 39).
Rappelant ensuite qu'une "ample latitude est d'ordinaire laissée à l'Etat pour prendre des mesures d'ordre général en matière économique ou sociale" (§ 40), la Cour reconnaît, en l'espèce, que le requérant se trouvait dans une situation objectivement analogue aux personnes ayant eu une carrière professionnelle identique ou similaire, mais ayant ensuite résidé en France ou à Monaco. Elle estime que la différence litigieuse répond au but légitime d'assurer, par le principe de la territorialité des régimes de retraite complémentaire, le règlement des rapports en la matière entre la France et l'Algérie après l'accession de celle-ci à l'indépendance, l'accord conclu par les deux pays le 16 décembre 1964 comptant parmi les mesures destinées à assurer une répartition cohérente et claire du règlement du passé et des charges respectives incombant aux Etats.
La Cour, dans son contrôle traditionnel de proportionnalité de l'ingérence au but légitime ainsi identifié, estime que, dès son entrée en vigueur, les termes de l'accord donnaient au requérant un droit à liquidation identique à ce qu'il était avant l'indépendance de l'Algérie. Quant à l'effectivité de ce droit, elle découle de l'exécution de l'accord franco-algérien précité, dont l'article 5 met à la charge des gouvernements français et algérien la définition du niveau des prestations servies aux personnes rattachées aux institutions de ces pays et la désignation des institutions d'accueil. "A cet égard, la Cour estime qu'aucun manquement ne saurait être imputé à l'Etat français, auquel il appartenait uniquement de s'assurer de la mise en œuvre de cet accord concernant les personnes rattachées à ses institutions internes" (§ 45).
Ecartant les conséquences alléguées par le requérant du droit communautaire, pas encore en vigueur, ni lors de l'entrée en vigueur de l'accord franco-algérien précité, ni même lors de la demande de liquidation, antérieure à l'entrée des régimes de retraite complémentaire dans le champ communautaire, le 1er juillet 2000, la Cour européenne conclut : "Dans ces conditions, la différence de traitement en cause ne saurait donc être regardée comme discriminatoire" (§ 46).
Ces arrêts peuvent être consultés sur le site HUDOC de la Cour européenne des droits de l'homme : http://www.echr.coe.int/echr/fr/hudoc/ | |
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