Quand l'accusation a présenté au jury une vidéo montrant son premier interrogatoire en Afghanistan en 2001, Salim Ahmed Hamdan a préféré quitter la salle d'audience. On le voyait assis par terre, la tête couverte d'une cagoule. Un peu plus tard, il est revenu prendre sa place sur le banc des accusés et il s'est excusé auprès du juge. Après six ans de détention et d'innombrables interrogatoires et péripéties judiciaires, Salim Ahmed Hamdan ne sait plus très bien "si ce tribunal est réel", a expliqué la psychiatre qui l'a examiné, le docteur Emily Keram.
C'est un procès assez particulier qui s'est ouvert le 21 juillet sur la base navale de Guantanamo. Salim Ahmed Hamdan est le premier accusé à passer devant les commissions militaires, les tribunaux d'exception mis en place par l'administration Bush pour juger les membres présumés d'Al-Qaida. Avant lui, l'Australien David Hicks avait comparu en mars 2007, mais il avait plaidé coupable, ce qui avait évité le procès. Quant aux accusés des attentats du 11 septembre 2001, dont Cheikh Khaled Mohammed, qui sont apparus devant le juge début juin, ils n'en sont qu'à l'étape de la mise en accusation. Autant que le suspect, c'est la juridiction choisie qui est en examen.
Salim Ahmed Hamdan, de nationalité yéménite, est l'ancien chauffeur d'Oussama Ben Laden. Comme le lui a rappelé le juge, le capitaine de marine Keith Allred, son nom est entré dans les manuels de droit américains pour avoir suscité la première décision de la Cour suprême sur Guantanamo en 2004. Une trentaine de journalistes suivent les débats ainsi qu'un observateur d'Amnesty International. Les six jurés sont des militaires en uniforme. Il revient au juge d'accepter ou non les preuves confidentielles. Elles sont présentées au jury dans des enveloppes rouges, dont la défense n'a pas connaissance.
Salim Ahmed Hamdan est poursuivi pour association de malfaiteurs et soutien matériel à une entreprise terroriste. Il plaide non coupable, arguant de ce qu'il n'était qu'un employé, l'un des sept chauffeurs d'Oussama Ben Laden. Ses avocats estiment qu'il ne peut pas être poursuivi pour crimes de guerre, puisqu'il avait été recruté en 1996 par le chef d'Al-Qaida et que l'état de guerre n'a été officiellement décrété par les Etats-Unis qu'après le 11 septembre 2001.
Les procureurs militaires lui attribuent un rôle plus consistant. Ils l'accusent d'avoir aidé Ben Laden à s'échapper et affirment qu'il convoyait deux missiles sol-air dans sa voiture lorsqu'il a été arrêté. Ils ont produit des photos où on le voit dans une conférence de presse de Ben Laden, en 1998 au Pakistan, et lui reprochent d'être resté au service du chef du réseau djihadiste après les attentats antiaméricains du Yémen et du Kenya. Salim Ahmed Hamdan risque la prison à vie, si l'accusation arrive à établir qu'il était au courant des attentats qui se préparaient. S'il est acquitté, il ne sera pas libéré pour autant puisqu'il a été classé "ennemi combattant". Le Pentagone détient encore 265 détenus dont 80 seulement sont, de l'avis des militaires eux-mêmes, passibles de poursuites.
Plus de 40 agents, dont 21 du FBI (Bureau fédéral d'investigations), se sont succédé pour interroger l'accusé depuis 2002, selon la défense, qui a dénombré pas moins de 29 rapports officiels sur ces sessions. Le juge a écarté les déclarations de 2001 qui ont été obtenues à Bagram, en Afghanistan, après avoir établi qu'il avait les pieds et mains liés vingt-quatre heures sur vingt-quatre et qu'il avait "parlé" sous la contrainte d'un soldat lui maintenant un genou entre les omoplates. Le capitaine Allred a en revanche autorisé l'exploitation des interrogatoires pratiqués sur la base, pour autant qu'il puisse obtenir des éclaircissements sur la manière dont ils ont été menés.
Les interrogateurs se sont donc multipliés à la barre des témoins. L'un d'eux, George Crouch, du FBI, a expliqué qu'il avait usé de la persuasion, plus que de la contrainte, et qu'il avait permis à Hamdan de téléphoner à sa femme, en juin 2002, pour la première fois après sept mois de détention. S'étant aperçu que le chauffeur aimait les hamburgers-frites, il a indiqué lui en avoir procuré, a rapporté l'agence de presse Reuters.
L'accusé a raconté à un autre agent du FBI, Ali Soufan, que Ben Laden avait été grandement "satisfait" des attentats du 11-Septembre. Il s'attendait à moitié moins de victimes. Le chauffeur aurait aussi entendu parler du "dôme" de Washington, référence dont les enquêteurs ont déduit que le Capitole était la cible du quatrième avion détourné par les pirates de l'air.
L'accusation a présenté, mardi, un film de 90 minutes sur Al-Qaida, réalisé par un "consultant" en terrorisme, Evan Kohlmann, payé 25 000 dollars par le bureau des commissions militaires. Les journalistes américains ont rapporté que le documentaire utilise des scènes de carnage, provenant des attentats du Yémen et de New York, visiblement destinées à provoquer l'émotion. Charles Swift, l'un des avocats de Salim Hamdan, a reproché au film d'être "extraordinairement biaisé". Le juge a lui-même rappelé aux jurés que l'homme qui était devant eux n'était "en rien accusé d'avoir participé à ces attaques".