المدير أ/ طه العبيدي Admin
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| موضوع: AFFAIRE DU TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BOUE DU 22 AVRIL 1964 : L'ETHNOPSYCHIATRIE ET LE DROIT PENAL السبت يناير 26, 2008 4:55 pm | |
| Cette fameuse décision, reproduite ci-après, est fort connue des internautes, elle a largement circulé, quelques fois agrémentée de commentaires cartésiens exprimés avec une condescendance toute paternaliste, parfois proche du racisme. En effet, de prime abord, on sourit à la lecture de ce jugement qui précise qu'un homme peut se transformer en singe, puis de nouveau en homme, mais dans une affaire j'ai été confronté à des croyances d'autres pays, notamment celles des Comores qui m'ont fait prendre conscience de l'importance desdites croyances dans le comportement quotidien des populations issue de l'immigration. En effet, j'ai un jour assisté un homme dans une affaire de stupéfiants qui me répétait sans cesse qu'il avait été envoûté par des Djinns, des mauvais esprits dans la culture islamique. Selon le client les Djinns s'étaient emparés de sa volonté et l'avaient contraint à mal agir. Jusqu'à l'époque des faits, mon client avait été un bon père de famille, un bon fils et « un bon croyant » selon ses propres termes. Sa famille était également persuadée que mon client avait été envoûté, car au pays comme ils me l'ont précisé, il s'était brouillé avec une « sorcière ». J'ai été d'abord dubitatif. Puis je me suis souvenu d'une branche de la psychiatrie, l'ethnopsychiatrie. Pour ceux qui ne le savent pas l'ethnopsychiatrie est un domaine de recherche partageant objets et méthodes tant avec la psychologie clinique qu'avec l'anthropologie. L'ethnopsychiatrie s'intéresse aux désordres psychologiques en rapport à leur contexte culturel d'une part, aux systèmes culturels d'interprétation et de traitement du mal, du malheur et de la maladie d'autre part. C'est ainsi que j'ai demandé au juge d'instruction une expertise ethno-psychiatrique. A mon grand regret le juge a refusé au motif notamment que les seuls spécialistes de la matière se trouvaient à PARIS. C'est regrettable. Le juge a alors désigné un psychiatre qui a tout de même mis en évidence les difficultés d'adaptation du client au mode de vie occidentale, la perte de ses repères etc...
L'expert a en outre indiqué que la perte des repaires avait pu avoir une influence sur le comportement de mon client selon une analyse finalement proche de l'ethnopsychiatrie. C'est la raison pour laquelle, la décision du Tribunal Correctionnel de BOUE me fait aujourd'hui sourire, mais sans condescendance...
"GABON - HOMICIDE INVOLONTAIRE - QUALITÉ D'ÊTRE HUMAIN DE LA VICTIME - PRATIQUES MAGIQUES ET SORCIÈRES - TRANSFORMATION DE LA VICTIME AU MOMENT DES FAITS - RELAXE : Tribunal correctionnel de Boué,
22 avril 1964.
Le Tribunal,
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Attendu que Biyeke Etienne a été cité à comparaître devant le Tribunal correctionnel de céans, pour la prévention d'avoir, à Bisso-Binlam, district de Boué, le 13 septembre 1963, en tout cas depuis moins de 3 ans, par imprudence, maladresse, négligence, inattention ou inobservation des règlements, involontairement causé un homicide sur la personne du sieur Joseph Akoué ; Attendu qu'il résulte des débats et du dossier sur Biyeke Etienne, le 13 septembre 1963, s'est rendu à la chasse dans l'après-midi ; que vers 16 h, il entendit les cris des singes, qu'il se posta entre la grande forêt et les vieilles plantations d'où venaient ces cris, espérant que les singes allaient passer des vieilles plantations à la forêt ; que s'apercevant qu'ils s'éloignaient plutôt de lui, Biyeke décida de les suivre quand, sous le feuillage, il vit venir à lui un chimpanzé, que celui-ci s'approchant de plus en plus de lui en hurlant, Biyeke se vit dans l'obligation de le charger à la tête d'un coup de feu ; que le chimpanzé tomba et fit plutôt entendre un cri d'homme ; qu'il se redressa en homme et put encore faire plus de 1.000 mètres en forêt en courant, quand Eloumé Elizabeth, qui le rencontra, le prit par la main, que la victime s'affaissa et mourut sans rien dire ; qu'appelés au secours, les villageois vinrent, reconnurent et transportèrent au village le corps d'Akoué Joseph ; Attendu qu'à l'audience, le prévenu a soutenu qu'il voyait parfaitement clair lorsqu'il avait fait partir le coup de feu et qu'il avait bien identifié sa victime à un chimpanzé, qu'il ne chasse d'ailleurs pas pour la première fois, ayant déjà capturé quatre depuis qu'il chasse ; Attendu qu'un homicide involontaire n'est punissable que si c'est bien un homme qui a été tué par maladresse, imprudence ou négligence ; que dans le cas d'espèce Biyeke a visé en plein jour et a tiré sur un chimpanzé et non sur un homme ; que si le chimpanzé est devenu homme après le coup de feu, Biyeke ne peut plus être retenu dans la prévention d'homicide involontaire ; Attendu qu'il est de notoriété publique au Gabon que les hommes se changent soit en panthère, soit en gorille, soit en éléphant, etc., pour accomplir des exploits, éliminer les ennemis ou attirer sur eux de lourdes responsabilités, défendre leurs plantations et ravager celles des voisins et des amis ; que ce sont des faits qui sont inconnus du droit occidental et dont le juge gabonais doit tenir compte, qu'il est en effet inconcevable à l'esprit européen qu'un homme puisse faire plus de 400 km en 27 heures à pied, alors qu'un Bakoto de Makokou et Boué l'accomplissait ; Attendu qu'il n'est pas aussi de la commune mesure qu'un individu ayant reçu une charge de plomb dans la tête, et après être tombé, se relève et arrive encore à faire plus de 1.000 mètres en forêt en courant ; que tel a été le cas d'Akoué Joseph ; Attendu qu'il faut encore faire savoir que les transformations des hommes en animaux féroces sont encore en vue de ne pas effrayer le gibier, pour s'en saisir, plus facilement ; Attendu qu'Akoué Joseph, qui est parti en chasse sans armes, n'en avait donc pas besoin puisqu'il pouvait prendre du gibier autrement qu'avec une arme ; Attendu que s'il faut punir les homicides involontaires de chasse, il y a lieu toutefois de considérer les cas et de sévir contre ces pratiques magiques et sorcières qui peuplent le Gabon, surtout en matière des opérations en forêt, et qui retardent énormément l'évolution du notre peuple ; Attendu que le tribunal a l'entière conviction qu'Akoué Joseph s'est transformé en chimpanzé en forêt où il aurait été en chasse sans arme et à l'insu de personne, et que Biyeke, notable, ancien combattant, largement décoré, plusieurs fois vainqueur des chimpanzés, ne pouvait pas tirer en plein jour sur un homme contre lequel il n'avait aucun antécédent défavorable ;
Par ces motifs, déclare Biyeke Etienne non coupable des faits qui lui sont reprochés." | |
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